Une « grande » théorie est-elle encore possible ?

Robert Boyer

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Lors des périodes de croissance à peu près stabilisée, les observateurs et les théoriciens pensent avoir percé les raisons de ce fonctionnement « équilibré ». C’est le cas entre-les-deux-guerres avec la publication par John-Maynard Keynes de son Traité sur la monnaie qui décrivait la dynamique économique impulsées par la monnaie alors que de longue date l’ouvrage d’Irving Fisher De la nature du capital et du revenu avait l’ambition de rendre compte d’un sentier d’équilibre de longue période. Or, comme l’avait souligné Joan Robinson (1974), à peine les économistes pensent-ils avoir compris les ressorts d’un régime économique, que celui-ci entre en crise et défie des connaissances qu’ils croyaient irrécusables. L’aggiornamento tant de Keynes que de Fisher est impressionnant. L’un montre que ledit marché du travail n’a aucune raison de s’auto-équilibrer car il est mû par les anticipations de demande, elles-mêmes conditionnées par les vues sur l’avenir des investisseurs. L’autre montre que l’auto-équilibration de l’économie est mise en péril lorsque les tentatives de réduction de la dette débouchent sur des ventes de détresse qui font chuter les prix et amorcent un renchérissement de la dette réelle, ce qui engendre une dépression associée à une déflation (Fisher 1933). Dans les deux cas, une lecture macroéconomique se détache de la fallacieuse intuition que les comportements microéconomiques se transposent tels quels au niveau de l’économie tout entière.
Ainsi, la crise, initiée en 1929 aux États-Unis, a été le point de départ de recherches visant à expliquer des phénomènes qui n’avaient pas leur place dans les théories reconnues…

Outline

  • Introduction : les crises, périodes de haute théorie ?
  • 1. 2023 : Une nouvelle crise financière qui surprend les économistes
  • 2. Le refus de l’inscription dans l’histoire, origine des désillusions des théoriciens ?
  • 3. Le désajustement des nomenclatures, de l’appareil statistique et des formalisations.
  • 4. La juxtaposition de modèles ad hoc n’est pas une contribution à la théorie
  • 5. Le temps de l’hétérogénéité sonne le glas de l’agent représentatif.
  • 6. Mettre à jour des régularités statistiques suffit-il à justifier le tournant empiriciste ?
  • 7. Internationalisation et spécialisation des économistes : une victoire à la Pyrrhus ?
  • 8. Un paradoxe : la professionnalisation contre la scientificité ?
  • Conclusion : les conditions d’un renouveau de la théorie

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